Si « Eng Nei Zäit » se déroule durant l’immédiate après-guerre et est donc en quelque sorte une fiction historique, j’ai toujours estimé qu’il fallait une approche moderne et contemporaine de la mise en scène. C’est-à-dire qu’il fallait à tout prix éviter une réalisation trop académique, théâtrale voire statique et ainsi se démarquer des autres fictions luxembourgeoises sur la deuxième guerre mondiale produites dans le passé.
Dès le début, lorsque Samsa Film m’a proposé le projet, j’y ai tout de suite décelé la possibilité d’un film avec des partis pris esthétiques ambitieux et rigoureux qui donneraient au scénario et aux personnages une épaisseur singulière. Avant de décrire les choix de réalisation en détail, je résumerai l’esthétique du film par un rapport entre un goût du détail (une main qui touille un café, une paupière qui cligne, un échange de regard, un fourmillement de petites choses dont la somme parvient à créer une atmosphère), une mise en scène directe et réaliste (p.ex caméra épaule) et une sublimation de la nature et des paysages. Une nature, belle et imperturbable qui est indifférente face aux tourments des hommes et des sociétés qui l’habitent. Comme cette scène de Jules et Léonie, s’amusant dans la clairière, qui devra donner le sentiment que les deux amoureux sont dans un paradis perdu, dans une sorte d’Eden, loin des réalités de l’après-guerre. Cette approche, par moment, contemplative, est mise au service du contraste brutal entre la beauté du cadre et la violence de ce qui s’y déroule. Le réalisme du récit et de certaines scènes serait contrebalancé par des scènes et des images contemplatives, poétiques, légèrement irréelles, fantasmées, d’une grande beauté. De plus, une approche réaliste et le fait de s’attarder sur les détails vont donner une réelle authenticité au récit.
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Après de nombreux films sur la 2e guerre mondiale dans lesquels collaboration et résistance étaient assez nettement séparées, et à la lumière des travaux des historiens ces dernières années, il nous a paru important de dresser un portrait de l’après-guerre où il n’y a ni héros ni méchants mais des gens qui ont survécu la guerre dans des conditions difficiles et qui tentent, chacun à leur manière, de reprendre leur vie et, pour certains d’entre eux, de reconstruire une nation.
Ils le font dans un contexte de grande tension sociale et politique et doivent prendre, dans leur âme et conscience, des décisions qui les pousseront à s’affronter à ceux que peu de temps avant ils croyaient être leurs alliés.
Nous avons imaginé le personnage d’un jeune maquisard luxembourgeois qui, tout juste revenu de la guerre où il a vécu une expérience traumatisante, est engagé, comme beaucoup de résistants, dans la gendarmerie. En revenant dans son village natal, Jules veut d’abord oublier la guerre et tout ce qu’il y a subi. Il espère retrouver sa sœur Mathilde, son amie Léonie, son travail, ses copains et sa patrie. Mais son patron a été déporté, Léonie lui cache quelque chose, son copain Armand s’est mué en militant politique et le pays a changé. Quant au père de Jules, il a été déporté suite à la fuite de Jules en France au moment de l’enrôlement de force.
Jules tente d’abord de rester en-dehors des discussions politiques et se laisse fêter comme le héros revenu de la guerre que tout le monde voit en lui. Mais quand Léonie est assassinée au Windhof avec les fermiers pour lesquels elle travaillait, son rêve d’une vie sans histoires se brise. Jules est d’abord profondément choqué puis entraîné dans une enquête dont il comprend peu à peu qu’elle est biaisée.
Comme beaucoup de soldats revenant de la guerre, et quelles que soient les expériences qu’ils y ont faites, Jules a d’autant plus de mal à se réinsérer dans la société d’après-guerre que le pays a profondément changé et que lui-même n’est pas le héros pour lequel on le prend…
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